Finie l’euphorie post-Covid ! L’instabilité économique et géopolitique intime de nouveau les entreprises à la prudence, et donc à revoir leurs projets d’embauche à la baisse. Sensible depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin dernier, le ralentissement du marché de l’emploi cadre a déjà rogné le chiffre d’affaires des cabinets conseil en ressources humaines (de l’ordre de 20 % en France selon le Syntec). Une situation qui devrait perdurer, voire s’aggraver au cours des prochains mois, la récente enquête de l’Apec (lire page 88) rapportant des perspectives d’embauche au point mort en Occitanie (- 4 % au national).
De quoi susciter l’inquiétude parmi les professionnels du recrutement. Les grandes enseignes, qui accompagnent généralement les ETI et les groupes sur des volumes de postes importants. Et plus encore les cabinets indépendants. À Toulouse, Adviabilis fait partie des premiers à avoir été affecté par ce retournement de marché. « Après plusieurs années très dynamiques, nous avons ressenti un premier tassement en mai 2024, et la situation est devenue franchement catastrophique à partir de la dissolution. Juin, juillet, août… plus rien, mais toujours des salaires à payer, un PGE à rembourser… Je n’ai pas eu d’autres choix que de licencier tout le monde et de poursuivre ma route seul », témoigne son dirigeant, Georges Vaccaro. Plus fragiles, les petites structures se révèlent néanmoins plus agiles dans les périodes de crise.
« C’est clairement grâce à notre capacité à rebondir et à convaincre que nous sommes parvenus à rester à l’équilibre l’année dernière. Notre positionnement, nos process et notre approche des candidats nous distinguent, et nous redoublons d’efforts pour continuer à faire valoir ces spécificités auprès des clients », confie Vincent Furlan, fondateur du cabinet toulousain Feelinks en 2017 (vingt salariés, 2 millions d’euros de chiffre d’affaires). Si le dirigeant concède que le contexte est « anxiogène », il reste ainsi combatif, en lançant notamment une nouvelle marque dédiée aux secteurs du BTP et de l’énergie, ou en poursuivant sa stratégie de développement national. Une façon d’élargir son portefeuille à de nouveaux prospects. Et de marquer le terrain. Car si le marché du recrutement s’est contracté, celui des consultants s’est en revanche beaucoup étoffé…
Des menaces et des opportunités
Soutenus par l’augmentation des besoins des entreprises ces dernières années, de nombreux indépendants ont émergé. Seuls, ou sous la bannière d’un réseau (lire notre article page 96), ils se sont peu à peu imposés. Discrètement, et sans faire véritablement d’ombre aux cabinets traditionnels, jusqu’à ce que les entreprises resserrent la vis… et que certaines se laissent séduire par les tarifs pratiqués par ces néo-consultants, 20 à 30 % inférieurs à ceux des sociétés spécialisées. « C’est vrai qu’ils se sont beaucoup multipliés, et que mécaniquement, cela réduit les parts de marché. Mais le marché fait aussi le tri, et il y a un effet positif à tout cela puisque nous récupérons certains clients déçus », observe Laurent Besson, directeur général du cabinet toulousain Es’tête. « Le problème, ce n’est pas le prix, mais ce que l’on met dans ce prix. Dès que l’activité va vraiment se tendre, 80 % des indépendants vont disparaître », estime pour sa part Loïc Douyère, le codirigeant du Florian Mantione Institut préférant se focaliser sur l’IA : « La grosse inconnue… »
L’intelligence artificielle a en effet bouleversé, et continue à transformer les pratiques du recrutement. De nombreux outils permettent aujourd’hui d’analyser et de trier les CV en quelques secondes, de vérifier les références des candidats, d’identifier les meilleurs talents, d’améliorer le suivi des candidatures… Ce qui peut bien sûr permettre aux cabinets d’améliorer la qualité de leurs services. Mais aussi aux employeurs de se passer de leurs services ! « Certains clients possèdent désormais les mêmes outils que nous », admet Georges Vaccaro. « Mais notre valeur ajoutée réside dans notre connaissance intrinsèque des hommes et notre appréhension des relations interpersonnelles, contrairement à l’IA. Nous devons donc nous ouvrir davantage aux missions de conseil et d’évaluation. » Une opinion partagée par Laurent Besson, qui note une évolution des attentes de ses clients : « Ils nous challengent davantage sur les profils des candidats, leurs compétences… ce qui complexifie le sourcing. »
D’autant que si les opportunités d’emploi sont moins nombreuses, les cadres se révèlent aussi moins enclins à bouger. Sauf à gagner plus ! Selon l’Apec Occitanie, 42 % d’entre eux envisageraient sérieusement de changer d’entreprise si on leur proposait une rémunération 10 % supérieure à leur salaire actuel. Reste que les employeurs sont désormais beaucoup moins enclins à négocier. La part des entreprises ayant consenti des ajustements pour faire aboutir leurs recrutements est passée de 56 % en 2022 à 41 % l’année dernière. Un « caillou » supplémentaire dans la chaussure des professionnels du recrutement… La plupart veulent pourtant rester optimistes. Certains se disent même ravis d’être ainsi contraints à se réinventer. Et d’autres de voir les propositions de rachats affluer…
Ingrid Lemelle
Sur la photo : Le nombre de recrutements de cadres a chuté de 10 % l’année dernière en Occitanie, impactant directement l’activité des cabinets spécialisés. Crédit : Hélène Ressayres - ToulEmploi.
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