Ça bouge sur le front des grandes écoles à Toulouse. En tout cas, la volonté est là. Et il est temps, les prestigieuses parisiennes ayant pris depuis longtemps une longueur d’avance dans les classements. Si l’ISAE pointe à la première place des écoles d’ingénieurs de province du dernier palmarès de L’Etudiant… il n’occupe que le 8ème rang national, suivi de l’ENSEEIHT, en 26ème position, puis l’Enac à la 33ème place. L’ESC de Toulouse, qui se classe à la 12ème place des écoles de commerce françaises, est, exception régionale, la seule grande école à apparaître dans un classement international, celui du Financial Times, à la 16ème place.
En clair, si selon la Conférence des grandes écoles, Midi-Pyrénées compte une quinzaine d’établissements faisant partie des grandes écoles (l’équivalent de 10.000 élèves chaque année, soit 10% de la population étudiante toulousaine), celles-ci peinent toujours à émerger sur la scène nationale et mondiale. Affaire de critères ? « Non, il faut déplacer le débat, répond Gilbert Casamatta, président du PRES de Toulouse, qui fédère dix-sept établissements, dont les universités et douze grandes écoles. L’enjeu n’est pas de déboulonner les premières du classement mais plutôt de trouver d’autres voies de développement. Des écoles plus orientées vers l’entreprenariat, une innovation renforcée et une plus grande ouverture internationale, voilà les pistes à creuser. »
Former des ingénieurs-managers
Des écoles d’ingénieurs plus polyvalentes, formant aussi au management ? Des masters que le MIT à Boston ou l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne intègrent depuis longtemps. De son côté, Centrale Paris a signé avec l’Essec en 2009 une alliance stratégique qui instaure un double diplôme. A Toulouse, l’ISAE est tout juste sur le point de sauter le pas (voir encadré). Quant à l’attractivité internationale, côté professorat, un système de chaires occupées par les meilleurs spécialistes mondiaux fait partie du volet « Equipements d’excellence » dans le cadre de la candidature du PRES de Toulouse au Grand Emprunt. Remise des copies fin décembre, premiers effets attendus dès 2011. Concernant le recrutement des élèves, l’Insa ou l’ISAE ont adapté plusieurs de leurs programmes en anglais, accueillant ainsi 25% d’étudiants étrangers.
L’union fait la force
Pourtant, aucune de ces écoles n’atteint encore la taille critique qui lui assurerait une réelle visibilité internationale. C’est pourquoi Gilbert Casamatta est le promoteur d’une « Université fédérale de collèges », qui permettrait, en unissant universités et grandes écoles sous cette ombrelle, de leur offrir une plus grande lisibilité à l’étranger. Chaque collège, que ce soit en sciences du vivant, sciences humaines, économie ou ingénierie, regrouperait en son sein les différents acteurs académiques de chaque discipline. Il faudra pour cela contourner la diversité des autorités de tutelle de chaque établissement, une caractéristique propre à Toulouse. Au total, pas moins de six administrations, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour l’INPT ou les universités, au ministère de l’Agriculture et de la pêche pour l’Ensat, en passant par la Culture pour l’Ecole d’architecture ou la Défense pour l’ISAE. Fédérer sans nier l’identité de chaque établissement. Aligner en rang serré l’ISAE et l’Université du Mirail, l’ESC et l’Université Toulouse 1 Capitole… On est encore loin de la « United Schools of Toulouse » et construire la dream team s’annonce rude. Louis Castex, prédécesseur de Gilbert Casamatta, avait d’ailleurs jeté l’éponge. Mais a-t-on le choix si Toulouse veut figurer parmi les premières de la classe ?
Dossier réalisé par Isabelle Meijers
L’ISAE apprend vite
Dès la rentrée 2011, l’ISAE ouvrira une chaire en management de l’innovation, aptitude déterminante des succès industriels futurs. « Nous nous sommes rapprochés de l’une des toutes premières grandes écoles de commerce françaises, dont je ne peux encore dévoiler le nom. Une alliance qui nous permettra dès l’année scolaire prochaine de délivrer des doubles diplômes d’ingénieur et de manager », dévoile Olivier Fourure, directeur général de l’ISAE. Une poignée d’élèves sélectionnés sur dossier inaugureront cette formation combinant technologies nouvelles et approche marketing et commerciale. Un modèle inspiré de l’alliance entre Centrale Paris et l’Essec ou encore l’Enac et Audencia Nantes tout récemment.
L’accent est également mis sur la formation à la recherche avec une progression de 10% par an de doctorants inscrits. Une manière de s’ouvrir à l’international, le doctorat étant devenu le diplôme de référence dans le monde anglo-saxon. Le nombre de publications de l’ISAE augmente quant à lui de 10% par an depuis 2007, la part des professeurs habilités à diriger des recherches ayant été portée à 30%. Autant de critères majeurs pris en compte dans le fameux classement de Shanghai des meilleures universités mondiales. Pour gagner en visibilité à l’étranger, l’ISAE et l’Enac élaborent également un catalogue commun de masters spécialisés en aéronautique. L’école affiche définitivement sa vocation mondiale dans son domaine de spécialité, l’aéronautique, et au passage, son ambition de laisser sur place ses concurrentes européennes, Cranfield University en Angleterre et le centre de Munich Aerospace.
L’IRT pour une innovation first class
Toulouse est candidate, dans le cadre du Grand Emprunt, à un Institut de recherche technologique (IRT) en aéronautique, espace et systèmes embarqués. Quatre autres IRT devraient ainsi voir le jour en France pour « accélérer les processus d’innovation jusqu’au prototypage industriel ». « L’IRT jouera le rôle de passerelle entre la science et l’application industrielle. Les doctorants, étudiants, chercheurs, entreprises, universités ou grandes écoles disposeront d’équipements de pointe au niveau international pour tester et mener à bien leurs projets », explique Jean-Marc Thomas, président du comité d’orientation stratégique de l’IRT et président d’Aerospace Valley. Ces plateformes de recherche, en micronanosystèmes et simulation numérique, constitueront une opportunité unique pour « préparer nos ingénieurs à leur futur métier par la maîtrise de technologies émergentes ».
Un atout qui peut faire la différence pour les grandes écoles d’ingénieurs régionales qui veulent booster leurs formations doctorales, encore sous-évaluées au regard des PhD anglo-saxons. La remise des dossiers, accompagnée d’un grand oral devant un jury international, est prévue le 20 janvier 2011. Décision attendue au cours du 2ème trimestre. Le bâtiment de 150.000 m² serait alors opérationnel en 2013, pour un financement de 1 milliard d’euros dont 200 millions d’euros en provenance du Grand Emprunt et 800 millions couverts par un partenariat public-privé, associant les industriels du secteur. L’innovation au cœur des enjeux de la région.
Un label d’excellence en préparation
Toulouse Tech, ce sera le nom du label décerné aux grandes écoles toulousaines selon des critères de certification qualité, de dynamique en matière de formation, recherche, recrutement des élèves et placement. « Notre plus grand déficit, et ce n’est pas spécifique à Toulouse mais à toutes les grandes écoles françaises, c’est notre manque de visibilité internationale », explique Didier Marquis, directeur de l’Insa et responsable au sein du PRES du projet Toulouse Tech. L’objectif, avec cette initiative d’excellence, est donc de passer la vitesse supérieure en se dotant d’une marque de fabrique identifiable, une bannière étoilée en quelque sorte.
Les sociétés sont également partenaires dans la réflexion et la création des critères d’attribution. Pour densifier les échanges avec les entreprises, Thales, Liebherr, Continental, Actia, Airbus, Freescale… disposeront de chaires où leurs cadres pourront enseigner aux étudiants. Près de 10.000 heures par an seront ainsi dispensées par des entreprises. Autre ambition : « L’accueil des étudiants ou chercheurs étrangers est aujourd’hui artisanal. Il nous faut une meilleure concertation. Toulouse Tech prévoit de mutualiser cet accueil », souligne Didier Marquis. Enfin, il s’agira de dynamiser les enseignants autour de cursus dispensés en langue anglaise. Toulouse Tech veut faire bouger les lignes.
Fondations : un peu de beurre dans les épinards, pas encore de crème
« Pour ses finances, une grande école ne dispose que de trois leviers : la subvention d’Etat, de loin majoritaire, les droits d’inscription et la levée de fonds privés par le biais de fondation », dépeint Olivier Fourure, directeur général de l’ISAE. Le budget public reste peu ou prou constant, les frais de scolarité oscillent en général entre 500 et 1.500 euros par an. La mode est donc aux fondations, dont le but est de récolter des fonds auprès de donateurs privés, anciens élèves ou entreprises pour internationaliser le corps professoral, financer des chaires d’enseignement ou des bourses de mobilité. Mais là où HEC a déjà collecté 66 millions d’euros et Harvard accumulé un pactole de 20 milliards d’euros, l’ISAE peine avec un capital d’à peine 1,5 million d’euros. « Nous avons créé notre fondation à un mauvais moment, juste avant la crise. C’est vrai que nous sommes en-dessous de nos objectifs », admet Olivier Fourure.
A l’ESC Toulouse, Anne Recasens, responsable fundraising, pointe le manque d’esprit de corps des élèves sortants et une culture française éloignée des valeurs anglo-saxonnes de récompense au mérite. La fondation de la Toulouse Business School a modestement réuni 1,3 million d’euros depuis 2008, dont 450.000 euros annuels apportés par les entreprises participant à son MBA aéronautique. L’ENSEEIHT, de son côté, a suspendu son projet, annoncé en 2007, car « on a vite compris que notre objectif de 5 à 10 millions d’euros était irréalisable », explique Alain Ayache, directeur de l’école. Mais l’idée a mûri et un projet commun avec l’INP de Toulouse est sur les rails : « Une fondation d’un nouveau genre où les entreprises seront plus que de simples donateurs. » Des entreprises qui, à l’heure de l’après-crise, vont être de plus en plus sollicitées. Pour les convaincre, les écoles devront alors présenter de vrais projets différenciateurs.
[(GLOSSAIRE
CGE : Conférence des grandes écoles
Enac : Ecole nationale de l’aviation civile
ENSEEIHT : Ecole nationale supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications
ESC Toulouse : Ecole supérieure de commerce de Toulouse
Essec : Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales à Paris
HEC : Ecole des hautes études commerciales
INPT : Institut national polytechnique de Toulouse, fédérant l’Ensat (agronomie), l’ENSEEIHT, l’Ensiacet (arts chimiques et technologiques), l’ENIT (ingénieurs de Tarbes), l’ENM (météorologie) et bientôt l’ENV (vétérinaire) ainsi que 17 laboratoires
Insa : Institut national des sciences appliquées
ISAE : Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace, issu du rapprochement de SupAero et de l’Ensica
MIT : Massachussetts institute of technology
PRES : Pôle de recherche et d’enseignement supérieur)]