Formation professionnelle - Apprentissage : entre risques et opportunités

Dossier publié dans le trimestriel ToulEco le mag en mars 2021

La réforme, la Covid, les aides de l’État... 2020 aura marqué un tournant pour les acteurs de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Avec quelles conséquences ? Le point sur ce qui se joue actuellement pour ce secteur soumis à de fortes turbulences...

Des réformes, les professionnels de la formation en ont connu de nombreuses ces dernières années. Ils se sont sans cesse adaptés. Tant bien que mal, jusqu’à la suivante... La dernière a toutefois introduit des changements qui les ont ébranlé considérablement. Leurs sources de financement pour commencer !

Un modèle économique à repenser

Car si l’apprentissage reste financé par les entreprises, les interlocuteurs et les modalités de financement ont en effet complètement changé !
Pour rappel, l’apprentissage était jusqu’alors financé via la taxe d’apprentissage versée aux Opérateurs collecteurs de la taxe d’apprentissage (Octa). Cette taxe était ensuite répartie entre : un les Régions, qui contribuaient ainsi au financement des Centres de formation d’apprentis (CFA) selon les cartes de formation qu’elles avaient établies ; deux les CFA et les sections d’apprentissage ; et trois les écoles délivrant des formations initiales technologiques et professionnelles. Directement par les entreprises. Avec la réforme, exit les Octa et (presque) les Régions, les Opérateurs de compétences (Opco) étant désormais les seuls habilités à collecter les contributions des entreprises. A hauteur de 87%. Les entreprises restent toujours libres de soutenir les structures éligibles de leur choix. Mais avec les 13% restants donc, soit 10 points de moins qu’avant la réforme ! Un manque à gagner énorme pour certains organismes. « Notre campagne de collecte a été divisée par deux en valeur », illustre Pierre-Émile Ramauger, directeur des relations avec les entreprises de Montpellier Business School (MBS), l’école de management pionnière et leader de l’alternance en France avec 1400 alternants sur un total de 3800 étudiants. De plus, les établissements sont dorénavant financés au « coût contrat », c’est-à-dire en fonction du nombre de contrats signés. Et à des montants très variables. Sur recommandation de France Compétences, la nouvelle instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage, les branches professionnelles ont établi les niveaux de prise en charge : allant de 3000 à 15.000 euros selon le type de diplôme et les formations. L’éventuel reste à charge étant supporté par les entreprises.

Un marché et des acteurs « libérés » ?

Un bouleversement donc, qui pouvait laisser légitiment présager le pire aux organismes de formation professionnelle et aux CFA. Et ce, alors même que l’apprentissage avait atteint des niveaux historiques fin 2019.
Mais la réforme a impulsé une autre évolution majeure : la libéralisation du marché de l’apprentissage. Hier soumise à l’aval des Régions, l’ouverture des formations, et même de CFA, ne requiert plus qu’une simple déclaration aujourd’hui. Une aubaine ! « Nous avons traversé une période de flou, mais dès 2020, les modalités sont devenues plus claires et elles ont sans conteste boosté l’ouverture des cursus en apprentissage », observe Dominique Bisbau, le directeur général des Écoles Vidal à Toulouse. Or les établissements avaient tout intérêt à s’engouffrer dans cette brèche. Et cela pour de multiples raisons.
Plus attractif financièrement que le contrat de professionnalisation, l’apprentissage a permis à certaines écoles de capter plus facilement l’intérêt des recruteurs. Qui sont de plus en plus nombreux à plébisciter l’alternance, à l’instar des jeunes ! « Ils considèrent aujourd’hui que c’est un tremplin et un accélérateur de carrière », observe la directrice générale de Toulouse Business School (TBS), Stéphanie Lavigne. « Et c’est bien sûr une façon de répondre à leurs préoccupations en matière de financement de leurs études. Une stratégie gagnante, que la réforme nous permet de développer sur tous nos campus. » L’opportunité également de capter d’autres profils. « Sur le plan pédagogique, l’apprentissage permet d’acquérir des compétences sur des périodes plus longues, et avec une partie plus importante dédiée à la pratique, ce qui convient davantage à certaines jeunes », remarque Sophie Cazard, directrice de l’Institut régional des formations sanitaires et sociales Croix-Rouge française, qui vient d’ouvrir son propre CFA. Une opportunité donc, que l’épidémie de Covid-19 a pourtant rapidement contrariée...

Un contrat sous perfusion

Forts des bons résultats obtenus en 2019, et des nouvelles perspectives de croissance, les organismes ont démarré 2020 avec un regain de confiance. Jusqu’au mois mars. Et l’instauration du premier confinement. Fermeture des écoles, mis en place de l’enseignement à distance, du chômage partiel, premières suppressions d’emploi, des annonces de plans de sauvegarde... autant d’éléments qui sont venus contrarier leurs espoirs. Cet été le gouvernement débloque néanmoins des aides exceptionnelles pour tout apprenti recruté entre le 1er juillet 2020 et le 28 février 2022 : de 5000 euros pour les apprentis mineurs, 8000 pour les majeurs. Et proroge de trois mois le délai pour trouver son entreprise d’accueil.« Cela nous a permis de sauver clairement la rentrée », indique Dominique Bisbau. Et même plus. A l’instar des Écoles Vidal, dont les effectifs ont augmenté de 15%, la plupart des acteurs ont enregistré une croissance très nette du nombre de leurs apprentis. « La campagne n’est pas encore totalement terminée, mais nous en comptons déjà une centaine de plus qu’en 2019 », déclare Laurence Flinois, la directrice du Career Center de MBS attribuant cette progression aux aides, mais pas seulement. « L’importante campagne de communication a aussi été très bénéfique à l’apprentissage en termes d’image, notamment auprès des TPE/ PME. » À Toulouse, le Groupe IGS se félicite de compter lui aussi une centaine d’alternants de plus qu’à la rentrée 2019, mais les craintes persistent. « La signature des contrats reste étroitement liée à la capacité des entreprises à recruter, or sur ce point, c’est l’incertitude complète, d’autant que nous ne savons pas si les aides vont être reconduites », rappelle Heide Mathieu, sa déléguée régionale.

La menace d’une seconde vague

« La situation économique actuelle, et surtout à venir, laisse logiquement penser que les montants collectés vont être en baisse », poursuit Dominique Bisbau. Une véritable source d’inquiétude alors même que les coûts contrats doivent être revus à la baisse. Si en novembre dernier, le Premier ministre a effectictivement reporté le redimensionnement des barèmes à 2022,le sujet continue à préoccuper de nombreux directeurs d’établissement. « C’est clairement ma mission cette année ! », concède Stéphanie Lavigne. « Multiplier les discussions avec les branches et France Compétences pour gommer les différences qui créent de véritables iniquités. Nous faisons bien sûr un gros travail de pédagogie auprès des entreprises pour expliquer le coût des formations et le reste à charge, mais il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de justifier des écarts de plusieurs milliers d’euros entre écoles et territoires. » Du côté de MBS aussi, l’inquiétude est palpable. « Les coûts contrats sont déjà inférieurs aux coûts de revient de nos formations, alors s’ils devaient être revus à la baisse, cela pourrait remettre en cause notre politique volontariste de formation en apprentissage, nous obliger à nous limiter par exemple à 400 contrats par an, contre 1400 aujourd’hui, avec tout ce que cela impliquerait en matière de frein à l’égalité des chances », regrette Pierre-Émile Ramauger.
Assurer son équilibre financier dans un contexte de crise économique et sur un marché désormais libéralisé, et donc fortement concurrentiel... Tels sont les défis que vont devoir relever les professionnels. « Certains CFA vont se retrouver en grandes difficultés... », craint Heide Mathieu. Quid en effet des petites structures excentrées, aux faibles effectifs ? Des centres spécialisés dans la formation de métiers fortement impactés par la crise ? Des formations atypiques ?...

Un rapprochement vital

Pour résister, même les plus « solides » organismes n’auront d’autre option que de se rapprocher davantage des entreprises. Et de les convaincre de continuer à investir dans la formation. Les leurs !« Nous nous structurons dans ce sens, commercialement, pour nous adresser différemment aux employeurs, mais aussi au niveau de l’accompagnement des jeunes afin d’éviter les abandons », informe Sophie Cazard. Même celles qui entretiennent de longue date des liens étroits avec les entreprises reconnaissent que le contexte actuel les conduit à aller plus loin. « Nous avons multiplié les actions de recrutement en 2020. Pour accompagner nos étudiants bien sûr, mais aussi leur montrer qu’il y a toujours des opportunités, même lorsque le marché est plus tendu. Nos étudiants restent attractifs et le recrutement des jeunes talents demeure stratégique pour les entreprises ! », insiste Laurence Flinois. « Le fait que les branches professionnelles soient nos interlocutrices directes ne peut être que favorable à nos formations », estime en outre Stéphanie Lavigne.
De quoi favoriser également l’essor de la formation continue, un autre enjeu de la loi Avenir professionnel. De nouveaux débouchés aussi pour certaines écoles. « Nous misons clairement sur nos programmes Executive, qui connaissent une croissance depuis un an, pour trouver des leviers de financement supplémentaires », indique Pierre-Émile Ramauger. Et si c’était là un autre effet bénéfique de cette réforme (le principal ?). L’un des principaux objectifs du gouvernement était en effet de remettre le monde économique au cœur de la formation. Sur ce point, le pari semble en passe d’être gagné.
Ingrid Lemelle

Crédits photos : TBS / Valentine Chapuis - ToulEmploi.

Réagir à cet article

Source : https://www.toulemploi.fr/Formation-professionnelle-Apprentissage-entre-risques-et,31616