En quelques années, le numérique a investi chaque parcelle de nos vies, bouleversant -entre autres choses - notre manière de rechercher un emploi, de nous former, d’être managés ou de manager.
« 88% des employeurs consultent les profils des candidats »

« Nous avons observé un changement il y a cinq ou six ans, particulièrement au niveau de notre agence cadres », rapporte ainsi Annie Blaquié, en charge du programme digital de Pôle emploi Occitanie. « Les modes de recrutement ont commencé à évoluer, les entreprises se sont mises à développer leur propre site Internet, sur lequel elles diffusaient leurs offres d’emploi, à communiquer sur Facebook et d’autres réseaux sociaux... Parallèlement, les job-boards se sont multipliés. Une évolution qui nous a amenés à initier des ateliers, afin d’accompagner les demandeurs d’emploi, de les aider à se positionner, mais aussi de les sensibiliser à leur présence sur la toile, leur dire de faire attention aux données personnelles. Il faut d’ailleurs rappeler qu’aujourd’hui, 88% des employeurs consultent les profils des candidats sur Internet ! » « Ce que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail sous-estiment encore beaucoup... », fait observer Anne Bibet, responsable formation de la CCI Midi-Pyrénées. Les services de Pôle emploi se sont considérablement étoffés depuis. Via notamment l’Emploi Store, lancée en juillet 2015, une plateforme hébergeant désormais plus de 200 applications gratuites, élaborées par Pôle emploi ou des partenaires. « Un succès, 88% des utilisateurs se déclarant satisfaits », souligne Annie Blaquié, qui ajoute que les services proposés sur le site polemploi.fr se sont, eux aussi, élargis. « Le portail est plus accessible, plus didactique aussi, et au printemps, nous avons mis en place des outils à destination des TPE, afin de leur permettre de calculer par exemple le coût d’une embauche. »
« La visibilité sur internet est devenue une nécessité »

Une révolution à laquelle les cabinets de recrutement ont évidemment assisté eux aussi, l’un des effets de la prolifération des outils dématérialisés étant sans conteste la vitesse... « Ils ont considérablement accéléré les process de recrutement », observe Nicolas André, responsable Pôle Recrutement du cabinet Corinne Cabanes & Associés. « Les candidats postulent désormais d’un simple glissement de doigt ! La transparence du marché de l’emploi est un autre effet positif de cette digitalisation. De même certains algorithmes se révèlent-ils efficaces pour filtrer et contribuer à une meilleure adéquation entre les profils et les postes. Mais ce n’est pas sans conséquences. Du côté des candidats, ce sont bien sûr ceux qui maîtrisent le mieux les outils qui sont les plus visibles, auprès des grands groupes comme des PME, et donc qui s’en tirent donc le mieux. » « En matière de recherche d’emploi, comme de formation, le numérique a en effet accentué l’écart qui sépare les publics les plus fragiles de ceux qui ont le moins de difficultés », confirme Dominique Bisbau, directeur de l’Institut supérieur Vidal. Même résultat du côté des recruteurs. « La visibilité sur internet est devenue une nécessité pour les postulants », poursuit Nicolas André, « mais c’est également une obligation pour les entreprises qui doivent désormais soigner leur marque employeur auprès des candidats. Surtout vis à vis des profils en tension ! La guerre des talents implique que les recruteurs doivent prendre en compte ce que nous appelons « l’expérience candidat ». C’est-à-dire tout ce que ce dernier peut percevoir. La réponse aux actes de candidatures doit notamment être rapide ! »
« Le e-learning doit absolument être tutoré ! »

Le numérique a bien sûr investi également le champs de la formation. En témoigne Laurence Nottelet, directrice régionale de l’ingénierie de formation à l’Afpa Occitanie : « Il nous donne l’opportunité de proposer de nouvelles modalités pédagogiques, en présentiel, en mixte présentiel / apprentissage à distance, ou encore en « social learning » (totalement à distance). A l’Afpa, nous travaillons essentiellement sur les approches en tout ou partie à distance, en revisitant complètement notre ingénierie de formation et notre méthode pédagogique basée sur l’apprentissage du geste professionnel. Tous ces savoirs sont hébergés sur une plateforme numérique. Nos formations font ainsi l’objet d’un découpage entre le présentiel et l’à distance permettant ainsi d’avoir entre 1 jour ou 4 jour sur 5 à distance. Tout ne se prête pas bien sûr à l’à distance comme les apprentissages techniques nécessitant de la pratique sur des machines ou des ateliers mais je suis certaine qu’on y viendra... Et la clé, c’est de toute façon le lien qui unit l’apprenant au formateur, et entre les apprenants eux-mêmes. Ce qui est important c’est qu’on ne peut pas prendre conscience de ses acquis seul ! Le développement du numérique a d’ailleurs replacé le formateur au centre de sa fonction, autrement dit celle qui consiste à être un révélateur de compétences. » « Le e-learning présente de nombreux avantages, mais seul, il ne fonctionne pas, c’est la raison pour laquelle nous élaborons des cursus mixtes, combinant présentiel et formation à distance », estime également la responsable formation de la CCI Midi-Pyrénées, la chambre consulaire venant justement de lancer une plateforme e-learning en complément de ses formations Negoventis en présentiel. « Les outils, de même que les attentes des entreprises en matière de formations des salariés - qu’elles souhaitent plus courtes et moins chères - contribuent à mixer présentiel et enseignement à distance. Mais le e-learning doit absolument être tutoré ! Et c’est vrai que cela entraîne une évolution du rôle des formateurs. Et des freins... », remarque Anne Bibet.
« Un risque réel de fracture »

Une frilosité que le directeur de l’Institut Supérieur Vidal observe également. « Avec l’accès simplifié et quasi illimité aux enseignements, les professeurs deviennent davantage des chefs d’orchestre, et cette évolution est parfois difficile à faire passer... La formation a distance est par ailleurs appréhendée différemment selon les publics. Si elle constitue un vrai atout pour les meilleurs, qui en maîtrisent parfaitement les outils, elle peut parfois accroitre les difficultés rencontrées par les plus fragiles », note Dominique Bisbau.
« Il existe également un risque réel de fracture entre les demandeurs d’emploi qui maîtrisent le numérique et les autres, et Pôle emploi est fortement mobilisé pour accompagner ceux qui sont les moins à l’aise », continue Annie Blaquié. « « En interne aussi, il est important « d’embarquer » les managers et tous les conseillers sur ces évolutions numériques. C’est pour cela que nous avons des Ambassadeurs du digital dans toutes nos agences. La transition numérique impacte en effet de plus en plus de métiers, y compris les nôtres, et nous devons contribuer à ce que chacun puisse s’inscrire dans ce mouvement demandeurs d’emploi, entreprises et collaborateurs. » « Nous observons, nous aussi, que cette transition laisse un certain nombre de salariés perplexe, donc en marge, et ce alors même qu’elle est inéluctable », déclare Nicolas André. « Cette mutation nécessite une implication des cadres du middle management, et de dédramatiser, en rappelant notamment que le digital est un moyen, pas une fin en soi. »
« Le numérique a fait bouger toutes les lignes »

« C’est vrai que la meilleure façon de « faire du numérique », c’est encore de le mettre en pratique sans en parler, de se focaliser sur les apports en termes d’usages, d’axer avant tout sur le côté facilitateur », poursuit Laurence Nottelet. « Le problème, c’est que le numérique a fait bouger toutes les lignes : le rapport au temps, à l’espace, et au pouvoir aussi ! Or la plupart des entreprises sont par exemple toujours organisées de façon pyramidale ou traditionnelle, organisation qui est chahutée par le numérique car les salariés peuvent développer des systèmes de travail qui échappent à la hiérarchie en formant des communautés virtuelles. J’évoquais plus tôt l’évolution du rôle du formateur, et bien je crois que la mission du manager est, elle aussi, impactée. Sa fonction principale, qui consistait jusqu’alors à organiser les activités, est devenue celle d’un donneur de sens au travail. »
Un sentiment que partage Nicolas André : « Les strates sont effectivement en train de bouger. Le manager est désormais celui qui favorise et porte l’intelligence collective. Les fonctions évoluent, et le numérique fait naître de nouvelles compétences et de nouveaux métiers : community manager, data scientist, la modélisation des données du bâtiment (BIM)... » « Des besoins que des écoles telles que la nôtre, soumise au référentiel de l’Éducation nationale, a souvent du mal à accompagner », regrette Dominique Bisbau. « L’Éducation nationale suit en effet principalement les besoins, mais se situe rarement en amont, ce qui est assez inquiétant lorsqu’on sait que 40% des métiers, en 2025, n’existent pas encore... »
Ingrid Lemelle
Photos Hélène Ressayres – ToulEmploi.