D’ici à vingt ans, des métiers qui n’existent pas encore vont recruter énormément, ce qui questionne dès aujourd’hui l’offre de formation.
Traditionnellement porteurs

Pierre Brossier, responsable du service Statistiques, Études et Évaluations de la direction régionale de Pôle emploi, dispose de données sur les professions qui recrutent actuellement et celles où les besoins se feront ressentir demain. « Nous travaillons à la fois sur les métiers qui vont embaucher en quantité, mais aussi sur ceux qui sont en tension depuis plusieurs années. Notre but est de faciliter l’intermédiation entre les entreprises et les demandeurs d’emploi. »
Le plus gros volume de recrutements se situe dans les services à la personne et aux collectivités, suivent le commerce, l’hôtellerie restauration, et le support aux entreprises. Les offres d’emploi concernent en priorité le personnel en cuisine, les assistantes auprès d’enfants, les services domestiques, la restauration ou le magasinage. « Les services à la personne recrutent le plus souvent en CDI même si les contrats proposés portent sur des contrats à temps partiel. » Les entreprises ont plus particulièrement des difficultés à embaucher dans les services à la personne, les soins infirmiers, généralistes ou d’hygiène, la cuisine et, spécificité régionale, la conduite d’usinage. « Nous pouvons déjà nous interroger sur les besoins futurs. Notre région gagne chaque année 50.000 habitants, dont 20.000 actifs. Les métiers qui recruteront demain concerneront pour partie une population potentiellement vieillissante, autour des services à la personne et de l’accompagnement de la dépendance. »
A ces emplois non délocalisables s’ajoutent également ceux de la construction, qui, après de longues années de crise, sont en nette progression. « Notre région compte 550.000 demandeurs d’emploi, et 30% des entreprises de la région ont des difficultés à recruter. Dans le BTP, ce chiffre atteint 50% ! Et, il devrait encore croître avec la reprise du secteur. Par exemple, les difficultés de recrutement pour des métiers de couvreur sont signalées plus importantes par les entreprises. »
Florence Jeulin, directrice de l’agence RH Solutions à Toulouse, s’interroge sur l’adéquation entre les besoins et la formation. Pour Pierre Brossier, c’est justement l’un des objectifs du CPRDF (Contrat de plan régional de développement des formations professionnelles) qui doit être en lien avec le marché du travail.
Le numérique en force
Plus que les métiers traditionnels, c’est aujourd’hui le numérique qui fait figure de filière d’avenir. Parmi les professions sur lesquelles beaucoup ont misé, celle de community manager. Nombre de formations se sont montées et pourtant la demande ne semble pas être forcément au rendez-vous. Marc Garreta, formateur à la CCI Aveyron, rappelle que l’objectif des chambres consulaires est justement de créer régulièrement des formations qui répondent aux attentes des entreprises. « Nous avons notamment créé une école d’ingénieurs en informatique et des cursus autour des métiers dits du numérique. Ce que je remarque simplement, c’est que le digital est partout, dans tous les métiers, et que c’est la double compétence qui me semble nécessaire. Des formations en community management pure existent, mais est-ce qu’elles répondent réellement aux attentes des entreprises ? Elles ont plus besoin de collaborateurs qui ont une couche numérique. Voilà pourquoi nous formons au tourisme et au digital ou au e-commerce. »
Nicolas André, responsable du Pôle recrutement du cabinet Corinne Cabanes et Associés recrute des community manager depuis six ans déjà. « Si ce métier a attiré beaucoup de candidats, c’est que son approche digitale était bien plus simple que le développement de sites web par exemple. Aujourd’hui, nous constatons un vrai tassement de la demande. » Beaucoup se sont rendus compte que cette tâche exigeait des compétences en marketing, mais aussi en matière de développement de la marque employeur. « Les entreprises s’interrogent souvent sur le retour sur investissement d’une telle fonction », reprend Nicolas André. « Dans les milieux ruraux notamment, elles ressentent le besoin d’avoir une présence numérique, mais n’ont pas le volume d’activité suffisant pour la développer. Elles ont donc recours à des prestataires en free-lance. »

Et c’est justement à ce genre de besoins que peut répondre le portage salarial. « Il a connu une grande révolution avec l’ordonnance d’avril 2015 qui lui reconnaît un statut salarial et sécurise ceux qui y souscrivent », explique Florence Jeulin. « La prestation de service a désormais le vent en poupe avec l’essor du digital. Si les grosses structures ont les moyens de créer des CDI, les petites privilégient les consultants. Ils peuvent ainsi se retrouver à travailler à temps plein, mais en partagé, pour plusieurs petites entreprises. » Pourtant, le portage reste méconnu et tout l’enjeu est de le faire découvrir à ceux qui pourraient être concernés par ses avantages. « Aujourd’hui, nous estimons à 40.000 le nombre de personnes qui se font porter, alors qu’on compte au moins 1 million d’auto-entrepreneurs. Nous pourrions passer dans les années à venir à 600.000 portés. »
Faute de retrouver aisément du travail, les seniors s’intéressent notamment à ce mode de valorisation de leurs compétences, estime Pierre Brossier. Florence Jeulin rappelle cependant que cette solution n’est pas accessible à toutes les professions, puisqu’il faut un minimum conventionnel de 2500 euros de rémunération mensuelle pour un temps plein.
Les nouveaux métiers

Reste que 60% des métiers qui vont recruter en 2030 ne seraient pas connus aujourd’hui, et parmi eux ceux du Data semblent tenir la pôle position. « Les métiers du futur sont liés à la digitalisation croissante de notre société », constate Nicolas André. « 90% des données planétaires ont été créées ces deux dernières années. Le traitement de la donnée est donc le nerf des métiers d’avenir, à commencer par le Big Data. Actuellement, 228 offres d’emploi pour des Data scientist sont proposées en France, en face, seuls 80 CV sont référencés sur les Cvthèques. » Un constat que partage Pierre Brossier, qui souligne que chaque année le Data augmente de 40%, ce qui va aboutir à la création de nouveaux services pour y répondre. Il pourra s’agir de collecte d’informations ou d’architecture prédictive, selon Nicolas André, qui concerneront aussi bien les particuliers que les services RH par exemple. « Le traitement des données ouvre énormément de perspectives notamment dans les secteurs de la santé, de la banque, du e-commerce, des RH, ou de la cybersécurité. »
Pour Pierre Brossier, ces secteurs émergents posent la question de l’évolution des compétences dans le temps, cette notion venant compléter la seule analyse des métiers. « Pôle-emploi s’investit dans le conseil en évolution professionnelle qui permet des apprentissages tout au long de la vie. Parallèlement à cette évolution, le recrutement par MRS (méthode de recrutement par simulation) permet de sélectionner les candidats sur l’habilité, plus que sur le CV ou l’expérience. » Sa révolution digitale, Pôle emploi la mène d’ailleurs par le biais de l’Emploi Store, sa plateforme dédiée aux applications liées à l’emploi. « Les personnes peuvent ainsi y passer des entretiens virtuels ou travailler sur des MOOC ou des serious games. Tout est disponible en ligne, gratuitement. C’est un changement de paradigme radical pour aborder la formation tout au long de la vie et la recherche d’emploi. »
Nicolas André constate que les candidats sont parfois plus en avance que les entreprises dans les relations au digital. « Le Big Data peut justement être un moyen de sonder leurs envies et de recenser des informations sur leurs comportements. » Face à ces nouveaux métiers, la nouvelle génération imagine déjà qu’elle passera par plusieurs entreprises, voire plus d’une carrière, et même plusieurs statuts. Pour Florence Jeulin, il ne faut plus s’en tenir au CV linéaire dans la façon de mener sa carrière mais aux compétences.
La formation avant tout

Marc Garreta est plus réservé sur cette notion de compétences. « Le digital est avant une porte d’entrée et je ne suis pas convaincu que l’atomisation des compétences mène à un emploi. Il faut que les profils tiennent la route. Certains fondamentaux demeurent donc essentiels. Avant de se lancer dans le e-commerce, il faut par exemple disposer de compétences commerciales ou de bonnes bases pour la rédaction en français. Il ne faut pas oublier de tenir compte de ces prérequis essentiels. » La fluidité numérique n’exempte donc pas d’un socle de compétences. Pierre Brossier souligne d’ailleurs que ce sont des candidats qualifiés qui vont être de plus en plus recherchés. « Les projections pour 2020 indiquent un excédent d’offres d’emploi pour les niveaux supérieurs au Bac de 2,2 millions, tandis qu’on assistera à un resserrement de celles pour les personnes non qualifiées de 2,3 millions. C’est une tendance lourde déjà observée ces dernières années. Les 65 ans et plus sont ainsi 57% à ne posséder aucun diplôme, les 50/64 ans ne sont plus que 30% et le taux chute à 15% pour les 25/49 ans. » Le besoin de qualification croissant va donc s’intensifier d’ici 2020 et c’est dans cet objectif qu’a été mis en place le plan 500.000. « Pôle emploi, au côté du conseil régional, s’inscrit déjà dans cette démarche de formation des personnes en recherche d’emploi avec 30.000 formations supplémentaires cette année pour la nouvelle région. Cela portera à 90.000 le nombre de formations qui seront prescrites en 2016 en LRMP. »
La question du recrutement à l’avenir se pose également, car comme le souligne Florence Jeulin, la donne va changer quand la génération Y sera aux manettes. Pour Nicolas André, le processus est déjà en marche avec l’émergence de la marque employeur, destinée à retenir des jeunes plus volatiles. « Certaines entreprises mènent également des opérations de talent management pour les salariés en poste. Dans le cas des développeurs informatique, ils sont par exemple sensibles à ce que l’entreprise va leur proposer en termes de formation continue. Le développement des compétences et la participation à des projets à vraie valeur ajoutée sont vitales pour recruter et conserver ces profils. » Des plateformes de type TripAdvisor pour juger les employeurs seraient même en pleine émergence.
Et demain ?
Parmi les métiers de demain, selon une étude menée par Success Torus, des secteurs en pleine explosion vont mener à la création de nouveaux métiers : construire des maisons en 3D, juristes spécialisés dans les drones.... La e-santé ne sera pas en reste, tout comme les nanotechnologies.
Et les objets connectés dans tout ça ? 50 milliards d’accessoires devraient être commercialisés d’ici 2030, ce qui en fait un véritable enjeu. « Nous constatons qu’en dernière année d’école d’ingénieurs, nos étudiants choisissent souvent ce domaine comme thème de fin d’études », note Marc Garreta. « Nous nous posons la question de créer une option spécifique dédiée au Big Data. » Ces nouvelles technologies recoupent en effet à nouveau celles des données.
Quant aux métiers traditionnels, ils sont aussi capables d’évoluer, même si certaines problématiques demeurent. Ainsi dans les services à la personne, la part des contrats de plus de 32 heures n’est que de 26%, contre 71% dans les autres secteurs. « L’aide à la recherche d’une activité complémentaire peut permettre aux demandeurs d’emploi en activité réduite de venir compléter leur volume horaire. », précise Pierre Brossier. Il remarque également que les métiers de la construction, autre pourvoyeur d’emplois à l’avenir, évoluent de plus en plus avec une composante écologique. « Ce n’est pas le seul à être concerné, mais aussi les transports, l’agriculture, la chimie, le tourisme, ou la recherche. »
Agnès Frémiot
Photos Hélène Ressayres - ToulEmploi.