Télétravail : faut-il un cadre spécial pour les jeunes mamans ?

Après une étude sur les désavantages professionnels des mères après la naissance de leur premier enfant, les deux chercheuses en management de la TSM (Toulouse school of management), Marion Fortin et Camille Desjardins, appellent à un droit au télétravail dédié pour les femmes enceintes et parents de jeunes enfants.

Qu’est-ce que votre étude sur ce moment clé où une femme active devient mère a révélé sur son impact sur leur carrière ?
Notre étude menée de mars 2019 à septembre 2021 auprès de trente-cinq femmes, mères de jeunes enfants, hautement qualifiées (diplômées Bac +3 à Bac +8), exerçant dans les secteurs publics et privés, illustre les obstacles concrets auxquels les femmes sont confrontées lorsqu’elles souhaitent poursuivre leur carrière après la naissance d’un enfant, à partir de l’annonce de la grossesse et bien après le retour de congé de maternité. Elle montre également comment ces expériences peuvent décourager des femmes qui avaient l’intention de continuer leur carrière. En cela, elle peut aider à expliquer certaines données qui suggèrent que les femmes subissent des désavantages professionnels dès la première grossesse, s’accentuant au fur et à mesure des différentes naissances. Le tout, sans retour en arrière possible, avec un décalage par rapport aux hommes qui perdure jusqu’à la retraite. D’autres études ont ainsi déjà montré que la différence de rémunération se creuse et atteint une pénalité durable de l’ordre de 30%. Les femmes après leur grossesse sont aussi perçues comme moins compétentes, travaillant moins d’heures. Bilan, elles sont moins souvent promues.

Comment ces pénalités, qui se manifestent au quotidien, sont-elles vécues par les femmes enceintes et mères de jeunes enfants ?
Ces femmes subissent les différents événements pénalisant comme autant d’injustices. Parfois, les managers leur demandent de travailler pendant les congés de maternité. Ces jeunes mères n’obtiennent pas les promotions promises à leur retour. Souvent, leurs projets les plus gratifiants sont redistribués définitivement à d’autres collègues. Le management leur confie des tâches moins intéressantes qu’avant et leur accorde moins de responsabilité. Un repos demandé pendant la grossesse pour surmenage est vu comme un signe de fragilité exagérée de la femme avec des remarques désobligeantes du supérieur hiérarchique. Certains collègues vont même jusqu’à ne plus leur adresser la parole. Dans bien des cas, il ressort également que l’employeur prépare mal le départ en congés maternité sans aucune planification. La plupart du temps, aucun entretien n’accompagne le retour en activité.

Beaucoup de participantes à l’étude souhaitaient pouvoir télétravailler partiellement en tant que jeunes mères. Pourquoi se sont-elles heurtées aux réticences du management ?
Les femmes enceintes et jeunes mères se sentent culpabilisées par leurs managers pour avoir formulé des demandes de télétravail alors même qu’elles témoignent travailler plus longtemps et efficacement depuis chez elles. Les accords collectifs donnent souvent droit à une part de télétravail pour tous, mais ils ne sont pas respectés. Les managers veulent voir les collaborateurs pour exercer un contrôle direct et craignent que cela ne devienne la norme. Ils sont très soupçonneux sur la réelle implication des membres de leur équipe dans le travail à distance. Ces réticences ne sont pas toujours exprimées de manière claire mais passent par un besoin de renouveler la demande de télétravail chaque semaine par les jeunes mamans au lieu de le systématiser. Et celles qui exercent leur droit au télétravail se voient confier des tâches supplémentaires en contrepartie de cette « faveur » ou sont pénalisées au niveau des primes de fin d’année. Nos recherches montrent que, malgré la situation sanitaire en France, ces femmes ont dû se battre pour être autorisées à travailler depuis leur domicile. La culture managériale en France de la méfiance et du présentéisme doit changer.

Justement, vous venez de publier une tribune dans Le Monde pour accorder aux femmes enceintes et parents de jeunes enfants un droit au télétravail partiel dédié. Quels en seraient les bénéfices ?
Si nous pensons que le télétravail partiel est une solution utile à envisager pour tous les groupes d’employés, notre étude suggère que cette solution présente des avantages particuliers pour les parents de jeunes enfants, et que le management direct représente souvent un obstacle pour se prévaloir de ce droit. Ce droit rendrait la vie plus facile aux jeunes mères, en diminuant les temps de transport et en leur permettant de mieux aménager leur temps de travail. Leur niveau de fatigue s’en trouverait réduit. Après les congés maternité, les femmes pourraient continuer à allaiter si elles le souhaitent. Les nouveau-nés seraient également accueillis dans de meilleures conditions. La fidélité des nouvelles mères à leur entreprise s’en trouverait aussi confortée. Enfin, il est important que cette décision d’accorder ou non l’autorisation de travail à distance ne revienne pas à l’encadrement mais soit examinée par les services des ressources humaines pour éviter des chantages.
Propos recueillis par Isabelle Meijers

Sur la photo : De gauche à droite, Camille Desjardins, chercheuse en management à la Toulouse School of Management, et Marion Fortin, professeure en management des ressources humaines et directrice du programme doctoral de la Toulouse School of Management. Crédit Hélène Ressayres - ToulEmploi.

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Source : https://www.toulemploi.fr/Teletravail-faut-il-un-cadre-special-pour-les-jeunes-mamans,32703