
Vous avez vécu de l’intérieur "l’adhésion" au système managérial de Mc Donald’s, quelles en sont les lignes de force ?
Adhérer au système Mc Donald’s, autrement dit mettre toute votre énergie au service de l’atteinte des objectifs de rentabilité, est le produit d’un processus. Pendant la première période, les nouveaux employés s’investissent parce qu’ils ont envie de faire partie du collectif des pairs : plus de 50% des employés sont étudiants et la moyenne d’âge est de 22 ans. Dans le cadre d’une activité où les équipiers sont très dépendants les uns des autres pour réaliser leur travail (les équipiers qui vendent les sandwichs sont par exemple tributaires de la rapidité avec laquelle les équipiers postés en cuisine les préparent), les relations entre collègues doivent nécessairement être investies sur le mode de la collaboration. Cet « esprit de corps » est à la fois contraint par la distribution des tâches, recherché par les pratiques managériales (organisation de soirées pour les salariés, de week-end de loisirs…) et généré par des employés qui trouvent de la satisfaction à se connaître et partager leurs expériences.
En quoi consiste la seconde période ?
La deuxième phase du processus d’adhésion correspond à la période où l’employé se sent faire partie d’un groupe au sein duquel il trouve reconnaissance et estime de lui-même. Les marques de reconnaissance symbolique sont nombreuses (« équipier du mois », bons d’achat pour les équipiers ayant réalisé le meilleur chiffre d’affaire sur une caisse…) et donnent un sentiment de réussite qui pousse à se dépasser. Enfin, les employés qui ont le projet de faire carrière au sein de l’entreprise voient souvent leurs aspirations remises à plus tard. Une entreprise structurée sur le mode pyramidal ne peut pas offrir de promotion à toutes les personnes motivées. Cependant, loin de décourager les plus ambitieux, ce délai imposé suscite un renouvellement du dépassement de soi. « Le système est parfait et récompense les plus méritants ». Ils s’imaginent que leur valeur sera donc nécessairement reconnue au bout du compte, ce n’est qu’une question de temps.
Votre description du travail qui occupe les employés derrière le comptoir fait référence au taylorisme. Qu’est-ce que Mc Donald’s a puisé dans cette méthode de travail ?
Le principe du taylorisme est de décomposer les gestes nécessaires à l’accomplissement d’une tâche pour les rendre les plus efficaces possible. Il s’agit, par l’analyse scientifique du travail, de trouver « la meilleure manière de faire » pour une rentabilité optimale. Chez Mc Donald’s, ce principe est partout et poussé à son paroxysme. On vous explique comment faire, en combien de temps et à quel rythme.
L’employé posté en caisse doit par exemple suivre les règles du service au comptoir. Outre qu’on lui ait donné un uniforme pour se vêtir, on lui a également indiqué comment placer les produits sur le plateau et dans quel ordre, comment suggérer un produit supplémentaire au client pour booster « ses » ventes et quelle formule employer pour « inviter le client à revenir ». Des normes de communication entre employés sont également dispensées en vue de réduire les « échanges inutiles » et de gagner du temps sur le service et donc augmenter les ventes.
Vous évoquez également l’influence du "fordisme"
Oui, Mc Donald’s a aussi intégré le principe de la division des tâches (fordisme). Les machines rythment les cadences et les employés sont assignés à des postes très dépendants les uns des autres. Le préposé aux « petits pains » doit enfourner et sortir les couronnes des Big Mac à chaque « bip » du toaster. Les viandes sont déposées sur le grill par un autre équipier qui doit impérativement recevoir son plateau de l’équipier préposé à la garniture au moment où le couvercle se relève, automatiquement, cela pour ne pas dépasser le temps de cuisson prescrit. Cette interdépendance des employés les uns vis-à-vis des autres a pour effet d’accélérer le rythme de travail encore davantage que les directives du manager.
La direction de McDonald est totalement désincarnée, en quoi est-ce une force qui joue en la faveur de ce système ?
Dans le cadre d’un travail où les normes règlent chaque geste, chaque parole et jusqu’aux relations entre les personnes, la marge de liberté qui reste aux employés est particulièrement restreinte : j’ai mis en évidence qu’il ne leur reste que les relations au sein du groupe et la rapidité d’exécution qui leur permet encore d’exprimer leur subjectivité dans le cadre de leur tâche sans déroger aux règles prescrites. C’est au sein du siège de l’organisation que les normes sont éventuellement modifiées ou décidées. Sur le terrain, leur difficulté d’application est une réalité, nombreuses étant celles qui placent les équipiers dans des situations paradoxales. La contradiction essentielle réside dans le fait d’avoir à atteindre des objectifs de vente toujours plus exigeants sans pour autant transgresser les règles liées à la qualité des produits.
Pourtant, ce sont les chiffres qui sont valorisés au sein du système. Les employés sont ainsi constamment obligés de hiérarchiser les normes qu’ils ont à respecter. Bien souvent, ce sont celles afférentes à la qualité des produits (temps d’attente des frites ou des sandwichs contrôlé afin d’être toujours servis chauds, en théorie) qui sont relayées au second plan. Si un client se plaint de la qualité, l’organisation peut mettre en avant les normes imposées. Mais pour gagner de la reconnaissance au sein du système, les employés préfèrent parfois transgresser le cadre…
Propos recueillis par Virginie Mailles Viard
"Du Ketchup dans les veines, Pratiques managériales et illusions
Le cas Mc Donald’s", Hélène Weber, Editions Erès, 223 pages, 23 euros.
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